claudette

Les beaux jours revenus, c’est avec plaisir que Claudette et ses amies, toutes poules rousses de leur état, retrouvèrent les délices du pré vert voisin. L’hiver ayant été long, ces quelques demoiselles avaient été soumises au dur régime du maïs sec, bien moins appétissant que les offrandes du printemps. Quelle joie de ressentir enfin, après ces nombreux mois d’attente, la chaleur du soleil sur le plumage. Et quel bonheur de pouvoir s’élancer sur l’herbe moelleuse et fraîche.

Ne perdant pas une seconde de leur précieux temps, et tout ne continuant à discuter, les demoiselles se mirent à chercher leur nourriture. Grattant le sol de-ci, de-là, chacune s’émerveillait des trésors qu’elle découvrait.

 

Tout à son affaire, Claudette s’éloigna de ses amies, jusqu’à tomber nez-à-nez avec Marguerite, une vache qui, elle aussi, profitait des délices de la nature.

 

- Bonjour! Salua la vache.

 

- Bonjour! Répondit la poule, intriguée par cet étrange animal.

 

Bien moins intéressée par Claudette que par l’herbe du pré, Marguerite se détourna, continuant d’arracher de grandes touffes d’herbe grasse.

Poussée par la curiosité, Claudette effectua un demi-cercle et vint se poster devant la vache, tout en l’examinant attentivement.

 

- Que me veux-tu? Lui demanda Marguerite, amusée par l’étrange comportement de cette rouquine.

 

- Qui êtes-vous? Osa demander la demoiselle à l’imposant animal.

 

- Je m’appelle Marguerite, et je suis une vache. Répondit celle-ci.

 

- Et moi je suis Claudette, une poule rousse! Annonça-t-elle fièrement.

 

- Ah! Fit la vache, dévoilant le peu d’intérêt qu’elle portait à son interlocutrice.

 

- Je suis l’une des meilleures pondeuses du fermier! Il me félicite souvent! S’enorgueillit Claudette, vexée par le manque de savoir-vivre de Marguerite. Mes œufs sont gros et solides!

 

La vache se détourna de l’herbe qu’elle entamait pour se tourner vers la petite poule, visiblement intéressée.

 

- Et que t’offre-t-il en échange? Demanda-t-elle.

 

La demoiselle parut soudain embarrassée, mais reprit très vite contenance.

 

- En échange, durant les beaux jours, j’ai le droit de me rendre au pré, et de me nourrir autant que je le veux!

 

Marguerite pouffa.

 

- Ma pauvre amie! Comme tu es abusée! Moi, pour seulement un peu de mon lait, excellent, je l’accorde, le fermier me laisse ici toute l’année! Annonça-t-elle, la tête haute.

 

- Mais l’hiver n’est-il pas trop froid? S’inquiéta la poule.

 

- Parfois si, mais je préfère cela à l’étable, où je me retrouve entassée contre mes amies! De plus, ici, l’air est bien plus frais!

Claudette baissa la tête.

 

- Mes amies et moi sommes obligées de retourner au poulailler chaque soir… Mais cela nous protège des renards! Justifia-t-elle.

 

- Il n’empêche que vous faites un dur labeur pour une bien piètre récompense… Déclara

Marguerite.

 

- D’autant que vous ne risquez rien de notre part… Signala un renard qui s’approchait des demoiselles.

 

Claudette couru se protéger derrière Marguerite, mais le nouveau venu eu tôt fait de la rassurer.

 

- Ne craignez rien, Mademoiselle, j’ai déjà goûté à ma pitance! Mon nom est Lucius. Ayant entendu votre conversation, j’espérais pouvoir vous faire part de mon expérience.

D’un geste de la tête, Marguerite l’invita à continuer.

 

- En effet, vous devez savoir qu’il est bien difficile pour moi d’approcher de votre demeure, car le fermier a tôt fait de m’envoyer ses chiens, ou de me faire fuir à coups de pieds… Dans le meilleur des cas, je m’en tire avec nombre de bosses! Pensez bien que je ne m’y aventure qu’en cas d’extrême nécessité! De plus, le fermier laisse bien assez de déchets pour que je puisse me nourrir sans courir de dangers…

 

- Des déchets? Comme c’est dégradant! S’écria la poule, dévoilant une moue de dégoût.

 

- Peut-être, mais je préfère cela aux coups que je risque en m’approchant de vous! De plus, l’homme aime gaspiller, et je me nourris souvent de mets délicieux, à peine faisandés! L’homme est vraiment la créature la plus difficile que je connaisse!

 

Marguerite et Claudette acquiescèrent toutes deux.

Sous le soleil, chacun réfléchissait à sa condition, quand approcha Napoléon le cheval, lui

aussi au pré.

 

- Bien le bonjour, gentes Dames! Et bien le bonjour, maître rusé! Les salua-t-il.

 

La poule, la vache et le renard n’eurent pas le temps de lui répondre que celui-ci reprit la parole.

 

- Je me promenais dans ce pré, effectuant mes exercices journaliers, lorsque je vous aperçus! Quelle surprise pour moi de découvrir une poule et un renard en pleine discussion! J’ai honte de l’avouer, mais ma curiosité m’a poussé à me joindre à vous! Puis-je savoir sur quel sujet porte votre conciliabule?

 

La poule invita ce nouvel arrivant à se joindre à eux, et lui expliqua leur conversation, avant de lui proposer de développer son avis.

 

- Et bien, chers amis, je me dois de vous avouer que, contrairement à vous, je suis l’animal le plus noble de cette ferme! Affirma-t-il sans modestie. Chaque jour, nombre de gens s’arrêtent près de mon enclos, et ne se lassent pas de me donner pommes, carottes… Et même quelques caresses.

De plus, très souvent, le fermier, ou sa fille, m’emmène faire de grandes promenades en forêt! Rien n’est plus agréable que ces ballades! Le soleil filtrant à travers les arbres, le clapotis de l’eau du ruisseau, où je peux m’abreuver tant que je le veux… Croyez-moi, c’est le paradis!

 

Le renard, maintenant allongé, se laissant dorer au soleil, laissa échapper un petit rire qui fit sursauter les trois autres animaux.

 

- Pardonnez-moi, Napoléon, mais… N’est-ce pas trop difficile de transporter un homme sur votre dos? Sans oublier les lourdes charges que l’on vous demande parfois de tracter?

 

La poule et la vache acquiescèrent.

 

- Tracter de lourdes charges? S’exclama le cheval. Que neni, cher ami! Sachez que pour ce genre de labeur, mon cousin l’âne est le plus approprié! On dit de lui qu’il est d’une robustesse à toute épreuve! Mais vous devez savoir que s’il ne s’agissait pas d’un travail aussi harassant, je me porterais moi aussi volontaire!

 

Il parut soudain embarrassé.

 

- Il est vrai malgré tout, que l’homme, parfois, ne se rend lui-même pas compte de son poids… Il n’est pas rare non plus que je reçoive coups de talons et coups de cravache. Il pense que, de cette manière, je me mettrais à trotter, puis à galoper!

Mais je dois bien avouer que je n’ai pas toujours envie de courir… Toutefois, les récompenses sont de taille: avoine, fruits, légumes et sucres pour chaque prestation. Pourquoi me plaindre?

 

Chacun restait ainsi, silencieux, ayant perdu toute envie de goûter aux parfums des beaux jours. Au loin, on entendait les gloussements des amies de Claudette.

Tandis que chacun se laissait bercer par la brise parfumée, un monticule de terre s’éleva au milieu de leur cercle, les faisant sursauter.

 

Après quelques minutes, une petite taupe apparu, surprise de découvrir tant de monde. Elle cligna des yeux avant de les essuyer du revers de la patte.

 

- Bonjour! La saluèrent-ils.

 

- Bonjour! Répondit la taupe, intimidée. Je m’appelle Ferdinand.

 

- Et moi Lucius. Dit le renard en s’approchant. Et voici Claudette, Marguerite et Napoléon.

 

Tous se saluèrent. La petite taupe s’assit au centre du groupe, et se gratta la tête.

 

- Quel étrange rassemblement! Constata Ferdinand.

 

Maintenant habitués, les quatre amis expliquèrent une nouvelle fois leur conciliabule, et, curieux, demandèrent l’avis du petit animal.

 

- L’homme est une créature étrange, vous devez le savoir. Commença la taupe. Il me déteste, et je le fuis, mais il vous aime et vous nourris. Il aime donner, mais seulement pour recevoir… Il protège ce qu’il a, mais désire ce qu’il n’a pas…

Je ne le comprends pas, et préfère l’ignorer. Je suis indépendant de lui et je m’en porte bien mieux!

 

- Mais vous ne devez pas être bien nourri, sans lui pour vous aider! Lança la poule.

 

- Sachez, Mademoiselle, et vous tous, que je préfère trouver ma nourriture seul et être libre! D’ailleurs, n’est-ce pas ce que vous faites dans ce champ? L’homme n’est pas là pour vous aider. Etre abusé pour un peu de nourriture est bien triste… Croyez-moi, rien de tel que la liberté!

 

Tous approuvèrent.

Ensemble, ils remarquèrent que le soleil se couchait, et décidèrent de se séparer.

La poule rousse rentra au poulailler, la vache resta seule au pré, le renard retourna dans sa tanière et le cheval à l’écurie.

Seul Ferdinand s’éloigna de la ferme en saluant ses amis.

 

Alors que la nuit s’installait, Claudette, Marguerite, Lucius et Napoléon, le ventre bien rempli, pensèrent tous qu’il était, malgré tout, bien plus agréable de vivre auprès de l’homme et de son confort, que seul et loin de tout.

 

Quant à la petite taupe, elle seule pensa, du fond de sa galerie, que l’indépendance valait mieux que les abus pour un peu de nourriture.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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