Le vent soufflait en rafales, soulevant sur son passage des gerbes de neiges étincelantes sous la pleine lune.
Elle se traînait dans la neige, son corps bleui par le froid, sans trop savoir où aller. D’où venait elle d’ailleurs? Elle-même ne le savait pas. Ses souvenirs commençaient ici, dans la neige, entre d’un coté la montagne, et de l’autre la falaise, par delà laquelle s’étendait une vallée, avec au loin un village aux cheminées crachant de la fumée.
Mais toujours une voix résonnait dans sa tête, une voix dure, dépourvue d’amour, qui la terrifiait par ses simples intonations: «Où que tu sois, obéis moi… Obéis moi, Undonielle…».
Undonielle? Etait ce ainsi qu’elle se nommait? Ou n’était ce que son imagination? Peut être cette voix n’existait elle que dans son esprit?
Elle ne pu se résoudre a y réfléchir plus longuement. Il fallait qu’elle se mette à l’abri du froid, ou celui-ci la tuerait dans les heures prochaines.
Elle se leva du mieux qu’elle pu, s’aidant de la branche basse d’un sapin pour se hisser sur ses pieds et entama donc la longue marche vers la vallée et son village accueillant. Ses pieds nus s’enfonçaient dans la neige épaisse jusqu’aux genoux, et bientôt, elle ne fut plus capable de marcher. A chaque aspiration, le vent s’engouffrait dans sa gorge et ses poumons, et le froid s’insinuait en elle un peu plus à chaque instant.
Comme la neige ne cessait de tomber, elle dû se résoudre a attendre la fin de la tempête, bien qu’elle ne sache pas combien de temps cela pouvait durer. Elle trouva abri sous une corniche et, harassée par le froid et la fatigue, s’y endormit aussitôt, plongeant dans un sommeil agité, où une monstruosité de la taille d’une montagne l’enserrait entre ses mains, lui déclamant toujours ces mots : « Obéis moi… Undonielle… Obéis moi…».
Elle s’éveilla en sursaut. Quelque chose de doux et de confortable était couché à son coté. En le palpant, elle découvrit une forme animale. Un long museau, des oreilles pointues, deux canines acérées, et une épaisse fourrure.
L’animal, au premier abord, aurait paru effrayant à n’importe quel être doué de raison. Mais Undonielle ne connaissait pas ces créatures. Elle n’avait aucun souvenir d’en avoir déjà vu, et elle accueilli avec plaisir ce compagnon nocturne et sa chaleur généreuse.
Un rayon de soleil perça les nuages encore sombres de la tempête qui s’éloignait, et Undonielle s’éveilla dans la lueur argentée de l’aube. Son compagnon à quatre pattes l’avait quittée avant son réveil, et elle entendait au loin les cris de semblables créatures. La faim la tenaillait, et c’est difficilement qu’elle redressa son corps courbaturé. Le temps s’était adoucit avec l’arrivée du soleil, et bien que la neige ne fonde pas, elle en ressentait les bienfaits. Son corps, quoi que toujours pâle, avait retrouvé une teinte normale. Elle s’étira.
La voix qui l’avait harcelée depuis son arrivée l’avait délaissée. Elle n’était plus qu’un murmure au fond de son âme, un souvenir de ce qu’elle avait été la veille.
Le village semblait mort avec les premiers rayons de l’aube. La tempête devait avoir fait rage la bas bien après qu’elle ne soit passée sur les hauteurs, et la neige avait recouvert toute vie qui aurait, par mégarde, passé la nuit dehors.
Son estomac cria encore et elle décida de partir à la recherche de quelque nourriture. Rien ne poussait sur ces hauteurs, aussi dû t’elle chercher longtemps avant de trouver un petit ruisseau en partie gelé. D’un geste, elle se pencha et offrit ses mains à l’eau glacée en guise de coupe. Le froid lui mordit la chair et encore plus la gorge. Elle toussa, cracha, puis se remit à boire. Elle était assoiffée, et rien, pas même le froid, n’aurait pu l’empêcher de boire tout son saoul.
L’eau glacée l’avait rafraîchie plus qu’elle ne l’aurait dû par cette température, et, la nourriture manquant, elle regretta bien vite d’avoir été négligente envers le froid.
C’est alors que quelque chose remua dans les fougères desséchées. Aux aguets, Undonielle écoutait attentivement tous les bruits. Mais elle ne connaissait pas assez cet environnement pour reconnaître ses amis de ses ennemis. Au bout de quelques secondes qui lui parurent interminables, durant lesquelles elle retint son souffle, une tête au pelage brun et au long museau apparu, transportant un oiseau dans sa gueule aux crocs impressionnants. Il s’approcha d’elle et le déposa à ses pieds.
Il ne faisait aucun doutes qu’il était son compagnon nocturne, et qu’il était parti tôt du matin lui chercher quelque nourriture.
Il s’assit sur son arrière train et la regarda des ses yeux dorés, la langue pendante.
Elle mangea donc, tel un animal, jetant de temps a autre un regard de-ci, de-là, avec pour seule compagnie le canidé qui s’était attaché à elle pour d’obscures raisons.
Le ventre plein, elle se sentait beaucoup plus forte, et elle décida de se mettre en route vers le village qu’elle avait aperçu la veille dans la tempête.
L’animal la fixa droit dans les yeux, et se leva, pour se poster à ses cotés, fier, droit, sombre silhouette sur le décor enneigé.
La nuit tomba, et ils se trouvèrent un abri loin du chemin, parmi les fougères. Elle dormait lovée contre lui, les bras passés sous l’animal pour obtenir encore plus de chaleur, et celui-ci se laissait faire, paraissant même prendre plaisir à ce contact.
Le lendemain, la neige avait durci, et Undonielle peinait à marcher sur la glace qui lui tranchait la chair. Ses pieds étaient en sang quand elle s’arrêta sur le bord de la route pour se reposer. Loone gémit et lécha ses blessures, ce qui fit à la jeune femme l’effet d’une braise sur ses chairs. Elle se pencha sur lui et glissa ses mains gelées derrière les oreilles de l’animal qui ferma à demi les yeux, la tête posée sur ses genoux.
Tout à coup, Loone se redressa, les oreilles droites, les babines retroussées, les yeux étincelants. Un danger approchait, et l’animal n’était pas le seul à le ressentir. Des hurlements se firent entendre. Féroces, meurtriers. Ils semblaient suivre une proie, et il ne faisait aucun doute que le sang qu’avait perdu Undonielle sur le chemin les menait jusqu'à eux.
En un instant, 6 withe pangs les encerclèrent. Ils n’étaient pas beaucoup plus grands que Loone, mais la malveillance brillait dans leurs yeux, tout comme la faim.
Ils tournaient autour des deux assaillis, cherchant une faille. Loone, quant à lui, grognait, retroussait les babines et claquait des dents, dans l’espoir évident de faire fuir ces créatures.
Mais rien n’y fit, et le combat s’engagea bientôt entre Loone et le plus grand des withe pangs, lorsque celui-ci, remarquant une faille, sauta à la gorge de Undonielle.
L’œil ne pouvait distinguer autre chose qu’une masse de poils mouvante. Par moment, Loone apparaissait, la gueule pleine de sang, pour être a nouveau jeté a terre par son cousin blanc.
Les autres restèrent un moment impassible, fixant le combat, puis se décidèrent a attaquer cette proie facile que représentait la jeune femme.
Deux lui sautèrent dessus, et elle ne dû son salut qu’a une roulade dans la neige. Mais ils revinrent à la charge. Cherchant de quoi se défendre, il sembla à Undonielle que la voix revenait a ses oreilles.
«Je t’offre toute la puissance de ces éléments, je t’offre le pouvoir… Obéis moi et tu ne craindras personne d’autre… Personne d’autre que moi…». Un instant, il lui sembla être dans une salle dont la chaleur était étouffante, aux murs rougeoyants. Puis elle se retrouva face aux deux withe pangs, dont un lui avait labouré la cuisse de sa griffe.
Gardant en esprit la voix qui lui parlait, elle fit un geste de la main en direction du withe pang le plus proche. Celui-ci fut aussitôt bloqué sur place, tel une statue parfaite. Elle avait réussi à le geler par un simple geste et une simple pensée.
Elle n’eut pas le temps de réaliser, que déjà une seconde de ces créatures lui sautait dessus. Elle eu à nouveau un geste, et celui-là aussi se gela aussitôt, tombant en morceaux sur la route dans un bruit de verre brisé. Loone avait fait son affaire au monstre qui l’avait attaqué, et, malgré sa fatigue apparente, tentait d’impressionner les autres, prêt a combattre jusqu’à la mort pour sa compagne.
Il n’eut pas à se donner cette peine car les survivants fuirent à toute allure, couinant et geignant comme des chiots, la queue entre les jambes.
Les vainqueurs n’en étaient pas moins exténués, et ils décidèrent d’un accord tacite de faire halte pour la nuit qui tombait tôt dans cette région.
Le sommeil de Undonielle fut agité cette nuit encore. Elle revoyait en rêve les événements du jour, et la facilité avec laquelle elle avait manipulé la glace, pour que celle-ci recouvre le corps de son adversaire. Elle gardait en elle le souvenir de sa puissance en cet instant, lorsque sa pensée, son geste et les éléments ne formaient plus qu’un, lorsqu’elle comprit qu’elle faisait partie intégrante de la glace, la neige, le vent et les nuages.
Cela l’effrayait malgré tout, et elle se jura intérieurement de ne plus jamais avoir recours à ce phénomène, sa vie fut-ce en jeu.
Au matin, Loone l’éveilla d’un lapement sur la joue, et ils reprirent leur chemin vers la vallée, tels deux sombres silhouettes perdues dans un désert de blancheur immaculée.
Le village n’était plus qu’à quelques kilomètres quand ils décidèrent de s’accorder une dernière halte. Undonielle s’était habituée à la compagnie de son ami canin, mais elle savait qu’il ne pourrait pas l’accompagner plus avant. Le monde des hommes était empli de chasseurs qui se feraient un réel plaisir de lui faire son affaire.
Loone ressentait lui aussi son futur abandon, et profita de ses derniers instants auprès de sa compagne. Ce fut alors qu’il était assis auprès d’elle, la langue pendante, qu’une étoile survola sa tête entre les deux oreilles et alla se planter dans l’arbre derrière lui. Loone couina de surprise et se cacha derrière Undonielle, qui s’était levée pour faire face à ce nouvel agresseur.
Malgré sa réticence, et même suite à sa promesse, ce n’était pas sa vie mais celle de son ami qui était en jeu, elle se préparait à utiliser à nouveau les éléments environnants lorsque surgit un jeune homme tout de noir vêtu.
Il portait un bandeau surmonté de lunettes noires, et des vêtements de cuir. Sa main droite était gantée de métal, surmontée de griffes acérées.
Derrière lui venait un petit singe roux qui poussait des petits cris excités.
Dès qu’il vit la jeune femme, il retint son geste, gardant en main une de ces étoiles métalliques qu’il avait déjà lancées.
Le petit singe grimpa le long de sa jambe et vint s’installer sur son épaule, visiblement fier de s’y trouver posté.
Elle gardait les yeux d’un animal aux aguets, la tête légèrement penchée vers l’avant. Sa main était crispée dans le geste ultime avant le lancer du sort.
Le jeune homme sourit, puis fit un geste de la tête.
- Tsss… Tu ferais mieux de bouger avant que je te fasse mal. C’est ma proie qui se cache derrière toi!
Undonielle serra le poing plus fort. Elle ne pouvait se résoudre à lui envoyer un jet de glace, mais elle refusait obstinément de le laisser abattre son ami sans réagir. N’ouvrant pas la bouche, elle continua de le fixer de ses yeux d’ambre.
- Mais bouge toi! Cria t’il, tandis que son singe poussait un cri, surpris par son haussement de voix.
Elle ne bougeait toujours pas.
Enervé par cette femme, il lui lança une étoile, dans le seul but de lui faire peur. Parant le coup, elle lui envoya un jet de glace qui retint l’étoile dans son envol, et lui paralysa sa main gantée. Tout son bras droit était recouvert de givre. Il pencha la tête et aperçu ce qu’elle avait accompli.
- Ah mince! Comment je fais moi, maintenant? Lança t’il d’un air mi-amusé, mi-agacé. Je vais devoir retourner au village pour la faire réparer… Une claw toute neuve! Mais vraiment te gènes pas!
Elle respirait bruyamment, car retenir le sort l’avait épuisée, mais elle était obstinée, et refusait de laisser apparaître Loone. Fixant toujours cet étrange personnage, elle ne disait rien.
- Qui tu es? Je t’ai jamais vue ici… Encore un de ces magots venus de Ellinia pour éprouver leur force? Il était visiblement énervé par son silence.
C’est à ce moment que les forces abandonnèrent la jeune femme, et qu’elle plongea dans un profond sommeil. Le jeune homme la rattrapa, jetant un regard intéressé à Loone, qui recula de quelques pas.
- Ainsi donc c’est ta maîtresse? Demanda t’il à l’animal. Mais bon sang! Que faites vous ici?
Pour toute réponses, l’animal s’allongea près du corps de sa compagne endormie.
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